Dionysos
Dans la mythologie grecque, Dionysos (en grec ancien Διώνυσος / Diốnusos ou Διόνυσος / Diónusos) est le dieu de la vigne, du vin et de ses excès, de la folie et la démesure. Il est une figure majeure de la religion grecque.
Ancien Feu divin comme l'attestent de nombreux éléments de sa légende et de son culte, il est le fils de Zeus et de la mortelle Sémélé ou, selon certaines traditions, de Démeter ou de Perséphone. Réparties entre l'automne et le printemps, ses festivités sont liées au cycle annuel et notamment au retour du printemps. Dieu de la fureur et de la subversion, son culte est également marqué par les fêtes orgiaques féminines célébrées par ses accompagnatrices, les ménades. Ses festivités ont été la force motrice du développement du théâtre et de la tragédie
Il a été adopté par la Rome antique sous le nom de Bacchus (du grec ancien Βάκχος / Bákkhos, un de ses autres noms) et assimilé au dieu italique Liber Pater.

Dionysos assis sur une panthère, mosaïque du ive siècle av. J.-C.,
musée archéologique de Pella.
Étymologie
Sous ses différentes formes, le nom de Dionysos signifie probablement « fils de Zeus », une étymologie qui rejoint une formule traditionnelle indo-européenne selon laquelle le Feu divin est le « fils du Ciel du jour ».
Mythe
Naissance

Silène portant Dionysos enfant, copie romaine d'un original du second classicisme, musées du Vatican.
Théophraste, au IIIe siècle av. J.-C., écrit au Livre IV de son ouvrage Histoire des plantes, que Dionysos est né sur le mont Méros, dans le Pakistan actuel. Dionysos est le seul dieu né d'une mère mortelle : Dès Homère et Hésiode, il est présenté comme le fils de Zeus et de Sémélé, (Ζεμελώ / Zemelố « terre » une ancienne déesse Terre), fille du roi de Thèbes Cadmos et d'Harmonie. Plus précisément, le récit de sa conception montre que Dionysos est né de la Terre frappée par la foudre, « la Terre Mère fécondée par l'éclair céleste du dieu Ciel », naissance caractéristique d'un Feu divin.
Poussée par Héra, jalouse, déguisée en sa nourrice, Sémélé demande à contempler Zeus, de qui elle est enceinte, dans toute sa majesté. Incapable de supporter cette vue, Sémélé trouve la mort. Zeus tire alors son fils du ventre de sa mère et, s'entaillant la cuisse, y coud l'enfant pour mener sa gestation à terme. Ce récit de la gestation de Dionysos dans la cuisse de Zeus recouvre un noyau mythique très ancien : le feu allumé par la foudre est essentiellement « fils du Ciel ». Le Ciel est à la fois son père et sa mère tandis que la Terre n'a qu'un rôle passif dans l'opération.
Dans la version orphique du mythe, Dionysos-Zagreus est le fils de Perséphone et Zeus. Héra, jalouse, demande aux Titans de se débarrasser du nouveau-né. Ceux-ci coupent donc Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite. Athéna ramasse pourtant son cœur et le donne à Zeus qui en féconde ensuite Sémélé. Dans les deux cas, Dionysos connaît deux naissances, ce qui explique l'une de ses épithètes, δίογονος / díogonos, « le deux fois né ». Pour le soustraire à la vengeance d'Héra, il est confié à Ino, sœur de Sémélé, et à son époux, Athamas. Mais découvert par Héra, Dionysos est alors remis aux nymphes, sous la direction de Silène, sur un mont de Thrace, Nysa, lieu mystérieux et montagneux, où les nymphes Hyades élevèrent le jeune Dionysos, le « Zeus de Nysa ». Pour échapper à Héra, il est transformé en chevreau. Cependant, après l'épisode de Penthée, Héra, réputée pour sa rancune tenace, décide de punir Ino et Athamas d’avoir recueilli Sémélé. Elle rend le couple fou.
Ses amours

C. Albacini, Dionysos et Ariane(xviiie siècle), Madrid,
Le premier amour de Dionysos est un adolescent nommé Ampélos. Mort accidentellement, il est ensuite changé par le dieu en constellation ou bien en pied de vigne.
Alors que Thésée a abandonné Ariane sur l'île de Naxos, Dionysos passait par là et serait tombé amoureux d'elle, il apparaît à Ariane, l'emmène sur l'Olympe et en fait sa femme. Elle est parfois vue comme la mère des Ménades. En cadeau de mariage, Dionysos aurait jeté sa couronne dans le ciel pour lui rendre hommage ; ce sera la constellation de la couronne boréale. Ariane est divinisée après cela et devient une personnification de la terre fertile.
D'Althée, la reine de Calydon, il a une fille, Déjanire, qui sera adoptée par l'époux d'Althée, Œnée. Enfin, Aphrodite lui donne plusieurs fils, à savoir Priape, divinité phallique des vergers et des jardins, Hyménée, dieu du chant nuptial, et, selon le 57e Hymne orphique, l'Hermès souterrain, chtonien ou infernal.
Origine
Dionysos a représenté d'abord un dieu de la fureur - son qualificatif le plus anciennement attesté est mainómenos « furieux » -, puis celui des boissons alcoolisées et Dionysos Eleútheros issu de la racine « croître » un dieu de la croissance, tout comme le Līber Paterromain, la Lauma lette, le Vofionus osque et la Louzera vénète, divinités qui tirent leurs noms de la même racine.
Mais le dieu le plus proche de Dionysos est le Shiva indien, comme l'avait remarqué les auteurs anciens, dieu issu du Feu divin indo-européen et comme lui dieu de la végétation
Dionysos est un ancien Feu divin comme le rappellent de nombreuses attestations : les flammes de la foudre sont ses nourrices, ses qualificatifs puróeis « ardent », purigenēs « né du feu », puripaís « enfant du feu », ainsi que les torches utilisées dans ses fêtes. Le feu est présent dans la commémoration de la mort et de la renaissance de Dionysos. La fête était nommée Deudophories d'après l'acte central de porter le feu sur le sommet de la montagne où il symbolisait la renaissance de Dionysos. Un hymne orphique l'identifie au feu.

Tout comme Shiva, Dionysos est un dieu paradoxal, contradictoire, aux multiples visages. Ces paradoxes s'expliquent par la mythologie du feu. Dionysos autopátōr « père de lui-même » est l'exacte contrepartie du dieu indien Agni « rejeton de lui-même ». Dionysos Dimorphos « dieu qui renaît éternellement de lui-même », « père et fils des dieux » reflète une concordance formulaire du Feu divin. Il est décrit tour à tour comme viril et efféminé, mâle et femelle, jeune et vieux - « le plus ancien et le plus jeune de tous les dieux » -, violent voire guerrier et pacifique, joyeux et sinistre, véridique et trompeur. Un certain nombre de ces contrastes se justifient par le contraste entre le feu et le foyer.
Mâle comme Shiva, il a pour emblême le phallus, d'où la présence à ses côtés des satyres et des silènes, mais le foyer est féminin. Le feu est dit jeune et vieux car on rallume le foyer après l'avoir éteint. Le feu sauvage est fort et violent quand celui du foyer est faible et démuni car sa survie dépend de celui qui l'entretient. On jure devant le foyer qui est garant de la vérité, mais le feu est dit trompeur car imprévisible. Ces aspects contradictoires ont eu pour conséquence que, dès l'Antiquité, on a cherché à distinguer plusieurs Dionysos, mais la nature de feu divin explique ces paradoxes.
Comme Agni, seigneur du feu sacrificiel et du foyer, Dionysos est dit « mangeur de viande crue ». On lui accole l'épiclèse d'Ὠμάδιος / Ômádios « qui aime la chair crue », épithète assez étonnante pour un dieu le plus souvent pacifique. Mais ce trait caractérise également un dieu Feu dans sa fonction funéraire. C'est à ce titre qu'on lui offre des sacrifices humains Héraclite dans un passage célèbre identifie Dionysos à Hadès sans saisir que s'il existe un Dionysos funèbre, celui-ci n'est pas semblable au « maître des Enfers » : il s'agit du feu du bûcher. C'est dans ce contexte qu'il est qualifié de glouton (laphúsios) et de destructeur d'hommes (anthropōrraístēs).
Fonctions
Si Dionysos est avant tout un dieu du vin, il ne l'est que secondairement. Il ne l'est seulement que parce que le vin est considéré traditionnellement comme une des formes du feu. Le vin est une « eau de feu ». Il se spécialise ensuite dans la vigne, qu'il est censé avoir donnée aux hommes, ainsi que dans l'ivresse et la transe mystique. Ses attributs incluent tout ce qui touche à la fermentation, aux cycles de régénération. Il est le dieu de la végétation arborescente et de tous les sucs vitaux (sève, urine, sperme, lait, sang), comme en témoignent ses épiclèses de Φλοῖος / Phloîos (« esprit de l'écorce ») ou encore de Συκίτης / Sukítês (« protecteur des figuiers »). Il est fils de Sémélé, avatar de la déesse phrygienne de la terre, amant d'Ariane, déesse minoenne de la végétation, et le compagnon des nymphes et des satyres. Il est également fréquemment associé au bouc et au taureau, animaux jugés particulièrement prolifiques.

Dionysos parlant avec Hermès, un satyre dansant à gauche, vase attique(vers 550-520 av. J.-C.),
Il est surtout le père de la comédie et de la tragédie (du grec τράγος / trágos, « bouc »). C'étaient au départ des sortes d'« illustrations » du culte, qui se donnaient au théâtre grec au cours des Dionysies, en présence de ses prêtres (comme les mystères que l'on jouait au Moyen Âge sur les parvis des cathédrales). Elles avaient une forme littéraire scandée particulière, le dithyrambe. Les chants et musiques dionysiaques font appel aux percussions et aux flûtes. Ils sont dissonants, syncopés, provoquent la surprise et parfois l'effroi. En ce sens, il est l'antithèse d'Apollon, qui patronne l'art lyrique et l'harmonie. D'ailleurs les flûtistes (aulètes) étaient perçus comme des bateleurs et non des musiciens, car l'usage de l'instrument déformait leur bouche, ce qui heurtait l'esthétique grecque et donnait lieu à des plaisanteries.
Dionysos, dieu de l'ivresse et de l'extase, est celui qui permet à ses fidèles de dépasser la mort. Le vin, comme le soma védique, est censé aider à conquérir l'immortalité.
Jane Ellen Harrison signale que Dionysos, dieu du vin (boisson des couches aisées), s'est substitué tardivement à Dionysos, dieu de la bière (boisson des couches populaires), ou Sabazios, dont l'animal emblématique chez les crétois était le cheval (ou le centaure). Il se trouve que la bière athénienne était une bière d'épeautre, trágos en grec. Ainsi, les « odes à l'épeautre » (tragédies) ont-elles pu être considérées tardivement, par homonymie, comme des « odes aux boucs » (l'animal qui accompagnait le dieu et associé au vin chez les crétois).
Friedrich Nietzsche, en philologue confirmé, se réfèrera à plusieurs reprises à Dionysos, comme inspirateur d'une tragédie[pas clair], et facette de la création poétique de tous temps. Il se décrit à ce titre comme étant lui-même un descendant du dieu de la vigne, duquel il reprend les oreilles, instrument d'inspection et d'analyse permettant une meilleure précision que la vue.
Fonctions

Dionysos et son thiase, médaillon d'un kylix du Peintre de Brygos (vers 480 av. J.-C.), Paris, Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France.
Les Grecs considéraient Dionysos comme une divinité étrangère, ainsi que l'indique l'attribut du bonnet phrygien, qu'il partage avec Mithra. On a parlé d'une origine indienne et mésopotamienne. Le décryptage par Michael Ventriset John Chadwick des tablettes en linéaire B découvertes dans les palais mycéniens a cependant révélé que le nom de Dionysos figurait dans la liste des divinités grecques dès l'époque mycénienne.
Les fêtes de Dionysos comme celles de Shiva se répartissent sur l'automne, l'hiver et le printemps.
Le centre du culte dionysiaque culmine avec la fête des Anthestéries, célébration solsticiale hivernale et fête des morts. Dionysos est alors le dieu chthonien de l'hiver, complémentaire ou opposé à l'Apollon solaire. Les Anthestéries sont la fête d'un dieu Feu qui triomphe des ténèbres.
La célébration de la fin de l'hiver est aussi à rapprocher d'un autre culte à mystères, celui de Déméter. En effet, dans le culte orphique de Dionysos-Zagreus, Dionysos est le fils des amours de Zeus et de Perséphone. Dionysos-Zagreus n'arrive pas à échapper aux Titans envoyés par Héra pour le tuer, et ses meurtriers le dépecèrent et en mangèrent les morceaux. Apollon reçut l'ordre de Zeus de recueillir ses membres et de les ensevelir, ce qu'il fit sous le trépied de Delphes. Quant à Athéna, elle recueillit le cœur de Dionysos-Zagreus et l'apporta à Zeus (ou à Sémélé) qui le dévora pour donner naissance au second Dionysos, le Dionysos thébain deux fois-né.
Son culte public donnait lieu aux fêtes des « Dionysies » consistant principalement dans la procession d'un phallus, mais il existait aussi un important culte secret, représenté par des mystères, comportant des cérémonies initiatiques. Il est souvent accompagné d'un groupe de satyres, de Ménades, de panthères, de boucs, d'ânes et du vieux Silène, formant le « cortège dionysiaque ».
Le culte privé avait lieu entre initiés, c'est un culte à mystères. Le regroupement de ces initiés porte le nom de thiase. Les thiases pratiquaient un culte caché et initiatique, souvent dans des cavernes et la nuit, au cours desquels on initiait les nouveaux membres du thiase, et qui officiaient dans la dimension ésotérique de la résurrection du dieu deux fois-né. On manque de sources pour savoir ce qui s'y passait exactement, mais ces cérémonies secrètes et nocturnes ont perduré jusque sous l'Empire romain. Elles comportaient des sacrifices, mais aussi des délires dus à l'ivresse ou à la consommation de drogues végétales, et des excès de toutes sortes, notamment sexuels.
Dieu de la nature sauvage, Dionysos est le moins politique des dieux grecs. Son culte s'impose à la cité mains n'en provient pas : « le dionysisme... exprime la reconnaissance officielle par la cité d'une religion qui, à bien des égards, échappe à la cité, la contredit et la dépasse ». Néanmoins, le Dionysos du foyer, le culte de Dionysos des Anthestéries athéniennes avaient le caractère d'un culte du foyer national et il est probable que le Dionysos thébain avait un caractère national encore plus marqué. Ce Dionysos du foyer familial et national peut avoir inspiré l'esprit de la tragédie
Épiclèses
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Ἀκρατοφόρος / Akratophóros (Acratophore), celui qui sert du vin pur
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Δενδρίτης / Dendrítês, protecteur des arbres
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Ὠμάδιος / Ômádios, qui aime la chair crue
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Φαλληνός / Phallênós, garant de la fécondité
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Φλοῖος / Phloîos, esprit de l'écorce
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Συκίτης / Sukítês, protecteur des figuiers
Épithètes
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Ζαγρεύς / Zagreús, fils de Zeus et de Perséphone
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Bromios, « au bruyant cortège »
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Δίγονος / Dígonos, « deux fois né »
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Βάκχος / Bákkhos, « qui retentit »
Attributs
L'attribut majeur et personnel de Dionysos est le thyrse qu'il tient à la main, qu'on trouve à ses pieds ou dans son cortège.
Plantes principales
Le pin et le lierre, ainsi que leurs fruits, la pomme de pin et les baies de lierres, dont il est souvent couronné. Ces plantes sont une apparente exception dans la nature, car elles sont toujours vertes au cours de l'année, et ne semblent pas perdre leurs feuilles, ce qui renvoie aux résurrections du dieu. On notera aussi que les vrais fruits du pin sont cachés dans la pomme, et que les baies de lierre, toxiques, entraient dans la fabrication d'une bière que consommaient les ménades, et qui contribuait à leur transe. On trouve aussi le grenadier et la grenade, le figuier et les figues (le grenadier est issu du sang du dieu, ses fruits mûrissent en hiver, et Perséphone reste liée aux enfers pour en avoir mangé ; le figuier est associé à la vie cachée dans le monde méditerranéen, car il pousse spontanément là où il y a de l'eau souterraine et révèle les sources).
Comme il a apporté la vigne et le vin aux hommes, on trouve également la vigne et le raisin, la coupe à boire. Mais il s'agit plutôt d'une contamination avec Bacchus, son équivalent romain.
Autre
Le bonnet phrygien rappelle son origine asiatique. On trouve aussi la flûte, les cymbales et les tambourins.
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Animaux associés : le bouc, la panthère, l'âne.
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Temples majeurs : Athènes (théâtre de Dionysos), Éleusis, Smyrne, Éphèse.
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Fêtes en son honneur : Dionysies, Anthestéries, Agrionies, Lénéennes.